Science économique ou subjectivité économique ?
La crise a-t-elle été en grande partie déclenchée car les économistes contemporains avaient rejeté Keynes au profit de l’école de Chicago incarnée par Milton Friedman ? Friedman estimait que Keynes était dans l’erreur quand il prétendait que toutes les crises pouvaient se régler par une expansion progressive de la masse monétaire. Il partait donc du principe selon lequel les politiques fiscales – et donc les dépenses de l’Etat visant à stimuler l’économie – n’étaient pas nécessaires. Pour sa part, Keynes s’inspirait de la Grande Dépression et blâmait précisément la politique de contraction de la masse monétaire initiée par la Réserve Fédérale de l’époque qui aurait dû au contraire adopter une logique d’expansion. Il était ainsi persuadé que les récessions et que les dépressions étaient principalement provoquées par une chute de la consommation. Le remède préconisé par Keynes consistait donc logiquement en une réduction substantielle des taux d’intérêts autorisant une relance de la consommation. Les liquidités seraient généreusement fournies par l’Etat qui tiendrait dès lors un rôle clé en activant sa planche à billets et ce en dépit de déficits publics qui seraient néanmoins transitoires car la relance serait au rendez-vous… Selon les keynésiens (comme Paul Krugman), le déclenchement en 2007 de la crise serait en effet un cas d’école dans la mesure où l’implosion de la bulle immobilière ayant dévalorisé les titres hypothécaires détenus par des Banques avait immédiatement fait sombrer les économies dans la récession en asséchant le crédit.
Les enseignements macro économiques sont certes valables pour étudier la Grande Dépression en s’adossant sur la théorie des cycles d’activité. Toutefois, analyser la crise actuelle (démarrée en 2007) à l’aune de ces mêmes critères – en dépit de leur élégance intellectuelle – aurait pour conséquence dramatique de commettre toujours les mêmes erreurs. Les économistes ont oublié que l’économie doit d’abord servir l’homme et la société car l’univers de la science économique contemporaine est envahi par les mathématiques financières qui exercent une tyrannie ne laissant plus aucune place aux sciences sociales ! L’économiste Heilbroner disait malicieusement que les mathématiques avaient insufflé une rigueur à la science économique avant de la tuer ! A moins que ce ne soit l’usage qui en a été fait qui a abouti aux dérives actuelles car la condamnation des adeptes de Chicago au profit de Keynes ne permet pas pour autant de progresser.
C’est l’ensemble de la profession qui doit aujourd’hui reconnaître qu’elle s’est fourvoyée dans son appréciation d’un système extrêmement complexe…qu’elle ne comprend toujours pas complètement ! Nous avons pourtant beaucoup appris. Que notre système financier est d’autant plus dangereux que certains Banquiers se complaisent à pousser leur bilan, hors bilan et ratios au risque de voir leur mécanique exploser à tout moment. Que même les Etats sont amenés à tricher ! Nous savons également que cette mauvaise gestion n’est pas un hasard – ou un accident – mais plutôt la résultante d’une pression perverse qui s’exerce en permanence sur une profession dont on demande encore et toujours du chiffre…Pour autant, et c’est un enseignement majeur de cette crise, ces comportements à la limite du criminel ne sont possibles que grâce au laxisme – ou à la complicité ? – du régulateur et du législateur persuadés que ce qui est bon pour les Banques est nécessairement bon pour le pays.
De son point de vue, Krugman a raison de défendre Keynes car il se conforme ainsi au credo en vigueur parmi les élites consistant à dépenser sans compter afin de sauver une profession et un système sans lesquels eux-mêmes n’existeraient plus ! Ce que Greenspan a fait après l’implosion des valeurs technologiques en réduisant drastiquement les taux d’intérêts dès 2001, Bernanke (son successeur à la tête de la Fed) et sa planche à billets salvatrice l’ont entrepris dès 2007 à une échelle encore plus massive, préludant ainsi à tous types de comportements à risques à venir. Autrement dit, le système financier de demain sera encore plus dangereux que celui d’hier car cette crise raconte d’abord l’échec de toute la caste des économistes n’ayant pu alerter contre la formation ni contre l’implosion de bulles dévastatrices et de comportements suspects. Il est vrai que le débat est le plus souvent limité à des crocodiles qui fréquentent le même lac…
La “science” économique connaîtra-t-elle un jour le sort de l’anthropologie ou de la phrénologie ? En d’autres termes, cette science économique deviendra-t-elle une science fossile, vaguement respectée pour qu’elle aura apporté mais complètement dépassée ? En attendant, les économistes forment une espèce de caste de brahmanes ou d’augures agitant des équations hyper sophistiquées et toujours prompts à donner leurs avis sur des décisions politiques. Leur seule ambition : être conseillers occultes des Princes en même temps que des mandarins respectés. Ils vivent en effet adossés aux pouvoirs en place en ayant leur propre système de reconnaissance. En attendant leur inéluctable fossilisation.
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