
Les responsabilités de la BCE dans la débâcle européenne
Les déboires des nations européennes périphériques proviennent comme on le sait des déficits endémiques de leur balance des paiements. En conséquence, ces pays ont, au fil des années, accumulé les dettes. C’est pourquoi la solution est théoriquement facile, voire enfantine, puisqu’il il leur faudrait à présent redevenir des pays réalisant des excédents même s’ils ne peuvent pour autant bénéficier de la flexibilité d’une monnaie à dévaluer pour parvenir à ces fins. Dans un tel contexte, l’insolvabilité de certains états déficitaires – ou plutôt le spectre de leur insolvabilité – s’invite de manière d’autant plus prévisible que le pays en question ne peut prétendre rassurer en brandissant le levier de la dévaluation monétaire.
Une question intéressante se pose en effet : pourquoi les marchés étaient-ils généreux et heureux de prêter à l’Italie à des taux relativement bas en 2010 et plus aujourd’hui ? Une fois de plus, la réponse réside essentiellement en des facteurs subjectifs : les prêteurs et autres investisseurs ayant progressivement eu une perception de plus en plus aigue des risques de l’insolvabilité italienne non pas du fait de l’aggravation soudaine des déficits de ce pays mais à cause du phénomène de contagion de la crise européenne. Les échecs répétitifs et ridicules de l’Union Européenne dans les règlements des problématiques grecques et portugaises ont ainsi déplacé les craintes des marchés vers les pays du « centre » – par opposition à ceux de la « périphérie » – comme l’Italie, voire la France… Loin des explications rationnelles, c’est donc les angoisses de contagion qui ont exacerbé les menaces d’insolvabilité de l’Italie.
Il va de soi que la croissance – tout comme les perspectives de croissance – joue également un rôle déterminant dans ce climat de tension extrême. Pourtant, nous allons voir que – là aussi – les perceptions et anticipations des marchés et des analystes sont fondamentales. Certes, la solvabilité des états est-elle aussi dépendante des prévisions par rapport à leur croissance économique et certes les gouvernements européens se sont activement employés depuis une année à saborder leur maigre croissance en instaurant toute une batterie de mesures rigoristes. Pour autant, revenons à l’exemple de l’Italie qui, en dépit d’une activité économique anémique depuis le lancement de l’Euro, était quand même parvenue à trouver des financements à bon prix jusqu’en 2011. Après tout, les marchés ont volontiers prêté à cette nation à la croissance quasi nulle chronique et aux déficits substantiels et ce jusqu’à la descente aux enfers des pays européens les plus fragilisés ayant sonné un tocsin généralisé.
C’est là qu’intervient la BCE qui, pour avoir remonté par deux fois ses taux d’intérêts de 0.25% en Avril et en Juillet de cette année, a largement contribué – voire s’est ingénié – à réduire les perspectives de la croissance européenne. Il ne faut en effet pas prendre à la légère les signaux envoyés par cette toute puissante institution qui a ainsi voulu mettre en garde contre toute velléité inflationniste tout en piétinant au passage des économies déjà fragiles, un chômage très élevé et une crise financière toujours vivace à l’époque… autant de poids lourds fondamentaux balayés d’un revers de main par une banque centrale seulement préoccupée par la stabilité des prix ! L’impact de ces hausses de taux européennes fut donc dévastateur car il se traduisit par un effondrement de la demande et par une exacerbation des tourmentes de certaines nations jusque là relativement épargnées qui durent dès lors lutter contre le spectre de l’insolvabilité.
Cette même BCE qui s’apprête aujourd’hui à ressusciter des pays en perdition en achetant leurs Bons du Trésor est donc bel et bien le même établissement responsable de leur plongeon final en 2011 pour n’avoir pas eu la finesse de renoncer à des hausses de taux inutiles et impossibles à justifier. Autrement dit, la perception, les attentes, les perspectives des marchés, des opérateurs et des analystes sont tout aussi déterminantes que la publication ponctuelle des statistiques économiques. C’est pourquoi la rigueur fiscale et budgétaire ne constitue pas le rempart ultime à même de rasséréner les marchés : en effet, l’épidémie ou la contagion ne s’arrêtera pas aux frontières de celles des nations ayant démontré une discipline financière de même qu’elle ne s’allègera pas plus pour celles ayant mis en place des mesures d’austérité. En fait, il arrive un stade intense – appelé « climax » au théâtre – où les tensions s’avèrent si extrêmes que le fantôme de l’insolvabilité engloutit tout sur son passage. N’est-il ainsi pas tout à fait significatif que le rendement des Bons du Trésor de la brave Allemagne soit aujourd’hui au même niveau que ceux de la Grande Bretagne victime de multiples bulles spéculatives ?
En conclusion, il va de soi que, si elle ne prend pas ses problèmes très au sérieux, l’Italie ne pourra être sauvée pas plus par l’Allemagne que par la BCE. Néanmoins, nulle mesure décidée par l’Italie ne saurait lui éviter la catastrophe si la BCE tolère ou ne se montre pas déterminée à lutter contre la contagion. En d’autres termes, tous les efforts et sacrifices italiens ou grecs ou espagnols ou portugais sont voués à l’échec en présence d’une BCE allègre à sacrifier la croissance pour contrôler l’inflation ! En l’absence d’une monnaie nationale qu’il est possible de dévaluer afin de rétablir l’assiette de la compétitivité, seule la BCE est effectivement responsable de la régulation de la demande au sein de la zone qu’elle contrôle. Il est grandement temps qu’elle prenne enfin la mesure de ses obligations.
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