La Suisse, Chine de l’Europe ?
Les statistiques économiques helvétiques racontent une histoire troublante et lourde de conséquences. Celle des efforts herculéens de la petite Banque Nationale Suisse (BNS) qui vend sa monnaie en quantités industrielles afin d’épargner à son économie la déflation et autres maux en provenance de l’Union Européenne. Cette histoire semble, pourtant, devoir tourner au drame, en tout cas à un affrontement prévisible avec cette même Union Européenne. Une fois de plus, les chiffres sont éloquents, qui font état de réserves détenues par la BNS en devises étrangères atteignant désormais des niveaux invraisemblables, sans commune mesure avec les fondamentaux du pays. Certes, le « peg » – ce plancher de 1.20 fixé par rapport à l’euro – tient-il admirablement bien. Mais seulement au prix de réserves en monnaies étrangères qui se montent à 41.4 milliards de francs suisses en juillet dernier, après 68.4 milliards en juin et 59.1 milliards en mai ! Les résultats obtenus par la BNS sont ainsi incontestables : le taux de chômage en Suisse ne s’établit-il pas à 2.7% tandis qu’il dépasse 10% en France et en Italie, crève les 25% en Espagne et avoisine 7% en Allemagne ? Pour autant, ce chaos évité par ce peg à l’économie helvétique ressemble plus à un sursis.
En effet, du haut de réserves monétaires qui représentent aujourd’hui 80% du P.I.B. suisse – et qui atteindront les 100% d’ici la fin 2012 -, la BNS s’est emmurée dans une fuite en avant qui la condamne à acquérir encore et toujours plus d’euros afin de stabiliser son économie et comprimer son chômage. Ce faisant, la Suisse ne remporte aucune guerre, juste quelques petites batailles, gagnées chèrement du reste puisqu’elles le sont sur le dos de ses partenaires européens qui sont les premiers à pâtir de ce peg. C’est effectivement une politique hautement conflictuelle vis-à-vis de ses voisins que mène la Suisse, qui parvient artificiellement à sauver les meubles chez elle en imprimant tous les francs suisses que sa planche est capable de cracher. Outre les milliards qui seront inévitablement perdus par la BNS dès qu’elle aura cessé sa lutte agressive contre le raffermissement de sa monnaie, qui reprendra dès lors son ascension. Aujourd’hui sur la sellette pour (ce qui reste de) son secret bancaire, la Suisse sera prochainement mise en accusation par ses partenaires comme « manipulatrice ». Pire encore puisque la masse gigantesque de ses euros acquis quotidiennement vont logiquement se loger dans les Bons du trésor allemands, au détriment des obligations d’Etat espagnoles ou italiennes. Car ce « peg » défendu becs et ongles par la BNS contribue manifestement à exacerber les tensions européennes en creusant davantage le différentiel entre les papiers-valeurs allemands et périphériques. Sachant que la Suisse se fera encore d’autres ennemis si elle tentait une diversification hors de l’euro, par exemple en faveur du dollar australien, canadien, voire du billet vert. L’appréciation de ces monnaies ayant naturellement des conséquences fâcheuses sur les exportations des pays concernés.
Mario Draghi, Président de la Banque centrale européenne, peut dire et même répéter qu’il entreprendra tout ce qui est en son pouvoir pour sauver l’euro. En attendant, il sait bien que la Suisse joue contre lui. Cette Suisse qui subira très prochainement une intense pression – une de plus ! – émanant de pays européens, déjà peu enclins à de la mansuétude vis-à-vis d’elle. Ces atouts immenses acquis à la faveur de la manipulation du franc suisse sont donc sur le point de fondre. Il semblerait que la BNS et que le gouvernement suisse – qui collectionnent gaffes et maladresses – doivent très prochainement lâcher encore du lest – voire achever de se mettre à nu – face à une Union Européenne qui la considère, souvent avec raison, comme un partenaire déloyal. Grande manipulatrice de sa monnaie devant l’éternel, la Suisse est aujourd’hui devenue la Chine de l’Europe.
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