La politique des coups d’épée dans l’eau
Pour 1’000 milliards d’Euros, t’as plus rien! C’est en tout cas ce que doit se dire la Banque Centrale Européenne qui, nonobstant son trillion d’Euros injecté dans le système bancaire européen, se rend aujourd’hui compte qu’elle n’a fait que surseoir à la dislocation de l’Union dont elle est censée gérer – pour le meilleur et hélas surtout pour le pire – la politique monétaire. A présent que le sol s’effrite sous les pieds de l’Espagne et que l’Italie vacille, son dépit doit être immense car ces 1’000 milliards affectés au « refinancement à long terme » (ou « LTRO ») auront permis tout au plus de gagner … quatre mois ! Les espérances étaient pourtant grandes – et les illusions tenaces ! – quand, en Décembre 2011, la BCE inaugura son gigantesque programme de baisses quantitatives qui devait, en deux rounds successifs, offrir un financement à prix modique (1%) aux banques de l’Union. Cette force de frappe de 1’000 milliards étant supposée faire coup double, c’est-à-dire tout à la fois soulager le système bancaire et apaiser les rendements des dettes souveraines périphériques qui s’affolaient en atteignant des niveaux insoutenables.
Ce qui était supposé être une guérison s’avéra n’être en fait qu’une rémission avant une rechute en cours aux conséquences encore plus désastreuses que préalablement au déclenchement de ce LTRO car les établissements financiers espagnols et italiens sont désormais dépendants des liquidités de la BCE. Considérons en effet que les banques espagnoles est italiennes ont absorbé respectivement 36 et 26% de ce programme LTRO et ce dans un contexte où le système financier espagnol se retrouve aujourd’hui quasiment sous respiration artificielle pour avoir ingéré une proportion plus élevée de liquidités que le système bancaire italien en dépit de sa taille nettement plus modeste. De fait, 8.6% de l’ensemble des actifs des banques espagnoles appartiennent de nos jours à la Banque Centrale Européenne, la dépendance des banques italiennes à la BCE étant pour sa part à hauteur de 6.5%. Comparons ces chiffres aux banques hollandaises et allemandes qui ne doivent respectivement que 0.4 et 0.6% de leurs actifs à la BCE… ou aux banques françaises qui en ont un peu plus besoin puisqu’elles comptent 1.7% de liquidités appartenant à la BCE dans leurs avoirs.
Cet état des lieux ne semble pourtant pas affoler la BCE ou les dirigeants européens sur le point de commettre avec l’Espagne les mêmes erreurs qu’avec la Grèce. Car l’explosion des rendements des obligations des pays périphériques et, à l’extrême opposé, les records de baisse atteints par les taux de la dette souveraine allemande ne sont pas d’une part provoqués par les déficits béants de ces nations frivoles ni d’autre part par l’exemplarité allemande. C’est la fuite des capitaux hors des systèmes bancaires de l’Espagne et de l’Italie (pour ne citer qu’elles) en direction des banques allemandes qui contraint les taux d’intérêts à grimper dans ces pays. Le seul et unique remède étant une caution intégrale émise par la BCE en faveur de la totalité des actifs des banques espagnoles et italiennes. Quand la BCE remplira-t-elle enfin son rôle et assumera-t-elle son devoir de prêteur en dernier ressort ?
En outre, cette LTRO n’a pas plus assaini les bilans des établissements financiers de l’Union qui manqueraient toujours de 115 milliards d’Euros, selon l’Autorité bancaire européenne. Il va de soi que des banques dans un tel état de fragilisation ne sont nullement motivées à accorder des financements aux acteurs de l’économie réelle, ce qui aggrave considérablement la conjoncture d’ores et déjà fortement morose par une austérité d’autant plus dangereuse qu’inutile. Comment ne pas se poser dès lors la question fatidique : ce programme LTRO a-t-il été mis en place pour redresser nos économies ou pour soulager les banquiers ?
Chers lecteurs,
Voilà plus de 15 ans que je tiens ce blog avec assiduité et passion. Vous avez apprécié au fil des années mes analyses et mes prises de position souvent avant-gardistes, parfois provocatrices, toujours sincères. Nous formons une communauté qui a souvent eu raison trop tôt, qui peut néanmoins se targuer d'avoir souvent eu raison tout court. Comme vous le savez, ce travail a - et continuera - de rester bénévole, accessible à toutes et à tous. Pour celles et ceux qui souhaiteraient me faire un don, ponctuel ou récurrent, je mets néanmoins à disposition cette plateforme de paiement. J'apprécierais énormément vos contributions pécuniaires et je tiens à remercier d'ores et déjà et de tout cœur toutes celles et tous ceux qui se décideront à franchir le pas de me faire une donation que j'aime à qualifier d'«intellectuelle».
Bien sincèrement,
Michel