Keynes trahi

Keynes trahi

février 6, 2011 0 Par Michel Santi

La « Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie » de Keynes – en anglais “The General Theory of Employment, Interest and Money” – publiée il y a 75 ans fut, dès le départ, l’objet d’un engouement considérable. En fait, rarement un ouvrage fut attendu avec tout à la fois tant d’impatience  dans un contexte où le monde Occidental peinait à se sortir de la Grande Dépression mais également avec tant de controverse tant les travaux de son auteur étaient dénigrés par les économistes contemporains. La “théorie générale” allait profondément remettre en question l’orthodoxie économique en vigueur à l’époque et son impact serait similaire à l’effet produit en son temps par l'”origine des espèces” de Charles Darwin. En effet, Keynes fondait sa théorie sur les taux d’intérêt ou, en d’autres termes, sur le loyer de l’argent tandis que les monétaristes axaient leurs études sur la quantité d’argent en circulation.  

Keynes partait du principe, central pour lui, selon lequel c’est à travers le levier des taux d’intérêts (toutes périodes confondues) qu’il convient de soutenir l’activité économique. Pour Keynes, seule une politique monétaire expansionniste – c’est-à-dire une pression baissière sur les taux d’intérêt – est en effet susceptible de relancer tant les secteurs privés que publics. Profitant de sa fonction au sein de la Banque d’Angleterre et de sa relation privilégiée avec Franklin D. Roosevelt, il devait donc exercer une influence dominante sur les décisions monétaires de son époque et présider dès 1932 à des baisses substantielles des taux d’intérêts. Les taux britanniques furent ainsi maintenus à 2% jusqu’à 1951…

Rejetant le modèle ultra libéral imposant une dérégulation du flux des capitaux, Keynes était persuadé que seule une économie orchestrée par l’Etat et soutenue par une stimulation du crédit intérieur et par un encadrement strict du flux des capitaux était à même de favoriser l’investissement, la croissance et le plein emploi.  L’approche Keynésienne (d’une finance sous contrôle et de taux d’intérêts bas) devait ainsi prévaloir jusqu’aux années 1970, soit jusqu’à ce qu’une dérégulation intensive du crédit et des capitaux soit progressivement imposée.  

Cette révolution ultra libérale fut donc inévitablement caractérisée par une explosion des taux d’intérêts et de la masse des crédits conduisant à une succession de phases de croissance euphoriques suivies d’implosions toujours plus ravageuses. Les phases de contractions économiques et de déflations par la dette devenaient ainsi le marqueur de cette période post Keynésienne qui fut également caractérisée par l’aggravation irrémédiable du chômage. Le bouquet final de cette orgie libérale fut l’effondrement économique Occidental dès l’année 2007 sous le poids d’un système financier tentaculaire et d’endettements privés et publics pantagruéliques.

Les enseignements de Keynes donc furent totalement détournés – et ce préalablement mais aussi à la faveur de cette crise – par les chantres de l’hyper capitalisme qui, se réclamant de lui, devaient maintenir des taux d’intérêts artificiellement bas, d’abord pour gonfler la bulle des subprimes, ensuite pour injecter des liquidités et sauver le système bancaire. Ils devaient, à l’évidence et fort opportunément, passer sous silence l’approche dirigiste du maître comme sa méfiance extrême de la dérégulation.  

Seul un retour à l’esprit de la “théorie générale” de John Maynard Keynes – et donc une profonde remise en cause d’un libéralisme financier outrancier – autoriserait une expansion durable et saine des secteurs privés et publics. La conception keynésienne du rôle protecteur de l’État face aux perversions d’une finance rejetant d’office toute restriction n’a jamais été autant d’actualité qu’aujourd’hui!

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