L’Europe prise en flagrant délit

mars 3, 2010 0 Par Michel Santi

La crise grecque a certes dévoilé l’usage par les Etats d’instruments financiers peu connus du grand public mais elle a surtout achevé de démontrer que le Pacte de Stabilité Européen n’était pas l’outil approprié pour garantir à l’Union Européenne un environnement fiscal et comptable sain. En fait, la controverse autour de ces instruments financiers (credit default swaps et swaps de taux d’intérêts) détourne l’attention des vrais problématiques Européennes ayant contraint certains Etats à devoir dégager des liquidités sur le court terme dans le but de colmater leurs déficits publics.

A cet effet, la vindicte dont semble poursuivi aujourd’hui un établissement comme Goldman Sachs fournit un exutoire commode et assurément bienvenu à des Gouvernements et à des institutions (Européennes) dont l’espoir est de masquer ainsi leurs propres responsabilités et carences. C’est en effet la Grèce qui avait choisi de dissimuler sa situation comptable réelle par l’entremise de ce type d’instruments au demeurant peu complexes et qui font généralement l’objet d’appels d’offre envers plusieurs banques d’investissements. La structuration de ce type de produits étant un processus parfaitement légal, seuls la Grèce et l’institut Européen Eurostat sont ainsi à blâmer, la première pour avoir initié l’opération en toute connaissance de cause, le second pour l’avoir autorisée.

Cet épisode, rendu possible par un manque de coordination et de transparence du système Européen à tous ses niveaux, reflète ainsi une aberrante déficience de gouvernance des comptes publics de la part de responsables qui semblent ignorer les bases même de la macro économie: Il est en effet épatant de constater que les autorités politiques et économiques de certains Etats se sont nettement plus consacrées à l’étude d’instruments financiers “exotiques” qu’à une lecture simple mais indispensable de leurs bilans supposés leur indiquer leurs engagements et leurs avoirs à la lueur d’une analyse de leur propre démographie et du vieillissement de leur population. L’utilisation d’instruments financiers plus ou moins sophistiqués, relevant d’une gestion moderne des liquidités, des engagements et des recettes d’un Etat (comme d’une multinationale) ne devraient même pas faire débat car seule une mauvaise gouvernance et une volonté de dissimulation peuvent transformer ces opérations en catastrophe budgétaire.

La dissimulation délibérée n’est-elle effectivement pas avérée dès lors qu’un Etat contracte une opération en vertu de laquelle il emprunte aujourd’hui par exemple 1 milliard d’Euros qu’il s’engage à rembourser dans deux ans alors même que la charge (taux d’intérêt) de cette dette est subrepticement cachée dans la transaction? A l’ère de la volonté prétendue des Etats d’une moralisation de la finance, il est inconcevable que certaines nations dites développées se livrent à des artifices consistant à escamoter des yeux du marché et des investisseurs certains de leurs engagements! La mauvaise gouvernance et l’incompétence politiques ne sont-elles pas évidentes à partir du moment o๠cet apport en liquidités fraà®ches – destinées à réduire l’endettement ou les déficits – se réalise au détriment des générations futures qui devront en assumer le remboursement? Nos économies développées et hautement intégrées étant construite sur un socle de multiples contrats intergénérationnels (retraites, couverture santé), une gestion décente des finances publiques exige forcément une prise en compte du facteur démographique, fondamental à cet égard tout particulièrement s’il s’agit d’acculer nos enfants au remboursement d’une somme nous ayant été versée aujourd’hui (qui plus est dans le seul but d’améliorer nos situations comptables)…

Manipulations qui ne sont du reste pas l’apanage des seuls pays Européens dits du “Club Med” puisque même la sérieuse et rigoriste Allemagne a fait usage de ce type de procédés lui permettant de reporter à une date ultérieure le remboursement d’une quantité de ses engagements. En réalité, régions et municipalités de certains pays Européens ont eux aussi bien inconsidérément profité de l’aubaine consistant à se procurer rapidement force liquidités afin de satisfaire leurs dépenses immédiates quitte à laisser aux générations futures un fardeau ingérable. Le 17 Février dernier, l’agence Bloomberg faisait effectivement état de 519 municipalités Italiennes qui se retrouvaient sous une intense pression du fait d’encours en produits dérivés totalisant 990 milliards d’Euros provoquant ainsi une enquête de la justice italienne et du Procureur Général de Milan, Mario Ristuccia, qui déplorait le manque de structures et d’expertise appropriées d’autorités locales s’étant lancées dans de telles pratiques!

Après la crise Américaine des subprimes et les épisodes invraisemblables consistant à tenter de comptabiliser les créances toxiques détenues par le système bancaire, il convient aujourd’hui de lever le voile sur les engagements et autres dettes masqués par certains Etats Européens. Dans cette attente, il est néanmoins rageant de constater que l’ensemble des plans de relance et stimuli Européens sont de facto rendus caducs du fait même de la nature de ces engagements qui sont par définition sur le long terme et qui, à l’évidence, affecteront et le travail de prévision économique et la croissance à venir. Que reste-t-il de la crédibilité de cette créature institutionnelle fragile connue sous le nom de “Pacte de Stabilité”?

Un organisme Européen de coordination fiscale et budgétaire supranational et complémentaire à la Banque Centrale Européenne se doit donc d’être crée si l’Union a réellement la volonté politique de sortir de cette crise par le haut. Il ne règlera certes pas les problématiques délicates des perspectives de croissance en regard du vieillissement des populations Européennes mais son souci de la transparence et sa mission centralisatrice éviteront à l’Union la répétition de tels épisodes honteux tout en lui assurant des fondations solides.

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