Fiscal et monétaire : le couple inséparable

La dette publique : «menace existentielle». C’est ainsi qu’elle est décrite par les gardiens du sérieux budgétaire dont l’alarmisme relève davantage du populisme que d’une compréhension rigoureuse des mécanismes. Leurs discours visent à instiller la peur à des fins idéologiques. Ils servent un agenda caché. A moins qu’ils ignorent les liens intimes entre fiscalité et politique monétaire ? Ce qui est aussi grave…
Le fiscal et le monétaire intimement liés
La dette publique est l’autre face de l’épargne privée. Chaque euro d’endettement de l’État correspond à un euro d’actif pour les ménages et pour les entreprises. La présentation de la dette comme une menace revient à une négation de cette interdépendance, et à la défiguration d’une donnée comptable en un instrument de terreur politique. Dans le monde de la réalité institutionnelle, dans un système monétaire souverain, la dépense publique précède la fiscalité, et la dette publique un outil de souveraineté monétaire. L’État n’attend pas de lever l’impôt – et n’en est pas dépendant – pour dépenser. Non, il dépense d’abord, créant ainsi les revenus qui seront ensuite imposés. La fiscalité ne sert donc pas à «financer» l’État, mais à réguler la demande, à redistribuer les richesses, à donner de la valeur à la monnaie. Les dépenses publiques injectent de la monnaie dans l’économie, tandis que les taxes la retirent pour éviter la surchauffe. La véritable contrainte n’étant pas financière mais tangible : tant qu’il existe des ressources inutilisées — chômage, capacités de production sous-exploitées, infrastructures à construire — l’État peut et doit dépenser pour les mobiliser. C’est l’inflation qui est la seule limite, non le solde budgétaire. Si et quand elle se manifeste, elle se combat en ajustant les politiques fiscales et monétaires pour contenir la pression sur les prix, pas en réduisant les dépenses utiles. En créant de la dette, l’Etat ne fait pas appel à une épargne préexistante, mais génère un actif sûr qui sert à stabiliser le système financier. La Banque centrale, pour sa part, a toujours la capacité d’intervenir sur ce marché pour garantir sa liquidité. C’est ce qu’a montré la BCE en rachetant massivement des titres publics après la crise de 2008 et pendant la pandémie. Loin de conduire à la catastrophe, ou de déclencher une bombe à retardement, ces mesures ont au contraire maintenu la stabilité. Que l’on comprenne enfin cette articulation fiscal-monnaie car il n’y a pas deux sphères séparées : l’une budgétaire, l’autre monétaire. Il y a un continuum – un circuit – où la dépense publique, l’épargne privée et l’action de la Banque centrale s’imbriquent. Que l’on crève enfin l’abcès de cette analogie simpliste qui ignore la nature fondamentale de l’État en tant qu’émetteur de monnaie.
Le vrai populisme : l’austérité comme horizon
Les populistes de la peur se complaisent pourtant dans une vision réductrice de l’économie qui, en réalité, représente leur fonds de commerce électoral. En effrayant les citoyens avec des scénarios apocalyptiques – inflation galopante, faillite grecque bis, F.M.I. –, ils instrumentalisent des peurs irrationnelles pour imposer des sacrifices. Ce populisme de la rigueur a une fonction politique évidente : transformer une question démocratique — à quoi voulons-nous consacrer nos ressources collectives ? — en une pseudo-nécessité comptable. Il dépolitise le débat en le réduisant à un chiffre – le niveau de dette – alors que les véritables enjeux sont la répartition des richesses et l’orientation des investissements publics. L’escroquerie intellectuelle de la gestion du budget d’un pays souverain en «bon père de famille» vise en fait le rétrécissement de l’Etat qui fera de nous une société d’aigris. Refuser cette vérité, c’est condamner la France à l’austérité permanente, au sous-investissement chronique, au délitement des services publics. C’est refuser de voir que nous avons les moyens monétaires d’assurer la transition écologique, de renforcer l’hôpital, de financer la recherche et l’éducation.
Les dépenses publiques injectent de la monnaie, les impôts la régulent. La dette est une écriture comptable, non un vice. Une politique audacieuse de la dette n’est pas un problème si elle sert le bien commun : c’est l’austérité qui l’est.
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Parfaitement bien résumé et courageux, cher Michel, car l’essentiel est dit. Chapeau bas !
L’Homo-politicus français a perdu le nord depuis très longtemps en s’efforçant à vouloir servir deux maîtres, car ses choix publics ont suffisamment démontrés au fil de l’Histoire qu’il s’attachera d’abord à l’un en méprisant l’autre pour finir par haïre l’un en aimant l’autre. Pauvre France.
Dixit James McGill Buchanan : « Good games depends more on good rules than they depend on good players » [en d’autres termes, « si vous voulez améliorer la qualité de l’action publique, améliorez les règles du jeu et non pas les joueurs »]
Cet écrit d’un journaliste au “Monde” est suffisamment révélateur du malaise français pour que je le retranscrive:
[« C’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches », disait Victor Hugo et, peut-on ajouter, c’est sur la ruine des comptes publics que sont érigées nombre de fortunes privées. Cette évidence, dont la réalité ne souffre aucune contestation, a été passée par pertes et profits dans le débat sur la situation budgétaire de la France. A quelques exceptions près, l’essentiel de la conversation publique consiste ces jours-ci à savoir comment et dans quelle mesure il faut augmenter les recettes et rogner sur les dépenses, réduisant le champ de l’action politique à un tableur à deux colonnes]
Du socialisme à tous les étages!
Du socialisme à tous les étages ou du “crony capitalism” de bas étage?
Albert Camus disait : “À mal nommer les choses, on ajoute à la misère du monde”.
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“Qu’est que le capitalisme de connivence ? Tout simplement un système de défense et de création de rentes appuyé sur la capture de l’État par ceux qui bénéficient ou bénéficieront de ces rentes” (Dixit Charles Gave)
“Le mot qui convient le mieux pour désigner un système qui gomme les frontières entre le Gouvernement avec un G majuscule et l’Entreprise avec un E majuscule n’est ni libéral ni conservateur, ni capitaliste. Ce serait plutôt corporatiste” (Dixit Naomi Klein, La Stratégie du choc)
“Au fur et à mesure que le domaine de l’État s’étend, il devient plus profitable pour les entrepreneurs d’acheter le personnel politique plutôt que d’acheter leurs clients en leur offrant ce qu’ils demandent. […] en intervenant dans la vie économique, de façon toujours de plus en plus étendue, l’État crée lui-même les conditions nécessaires à une manipulation croissante des lois du marché au profit de groupes d’intérêts particuliers” (Dixit Henri Lepage)
“Récompenser l’échec, c’est tout sauf du capitalisme libéral. C’est de l’économie planifiée. Sauf qu’ici, en Occident, l’État ne planifie pas pour le plus grand nombre, comme le faisait l’URSS ; il planifie pour le plus petit nombre. C’est le pire des deux mondes : du socialisme inversé, du capitalisme assisté par l’État, de la spéculation subventionnée, de l’individualisme entretenu, de l’irresponsabilité financée à crédit. Un système perverti où l’État, au lieu de jouer l’unique rôle qui justifie son existence – à savoir veiller au maintien de conditions de vie décentes pour la majorité des habitants de son territoire – n’est plus là que pour redistribuer le bien collectif en faveur de firmes puissantes” (Dixit Myret Zaki)
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La répartition des richesses et l’orientation des investissements publics [?] dans une version moderne de l’économie qui s’apparente plutôt – en lisant les médias “mainstream” français ces derniers jours et selon moi – à “une république bananière”, voir à la parabole de l’âne de Buridan: ce dilemme poussé à l’absurde.
Parlons-en puisque la pensée dominante en économie de ces dernières décennies a consisté, entre-autres, à la mise en place de stratégies fiscales de promotion économique afin d’attirer des entreprises étrangères, d’une part, et d’autre en offrant plus de souffle aux entreprises françaises afin d’encourager les investissements. Là je rigole déjà. Des stratégies naturellement basées sur ce courant “mainstream” des baisses d’impôts en suivant les vieux mantra de Jean-Baptiste Say avec sa loi des débouchés au travers de la politique de l’offre. Comme si la lunette copernicienne de la loi offre/demande ne devait se focaliser qu’au prisme de l’offre pour que les entreprises puissent produire et vendre d’avantage. Comme si chaque offre allait naturellement générer sa propre demande et que tout naturellement les recettes fiscales [dans le futur] permettraient ainsi au secteur public de compenser les pertes fiscales initiales [engagées au présent d’autrefois] suite à la réduction des barèmes d’impôt, ou plutôt à la lueur de cette complicité maladive de faire abstraction des montages juridiques et fiscaux facilitant légalement la réduction des impôts des entreprises cotées, des multinationales et des très grosses fortunes privées constituées sur le capital patrimonial à l’instar des fractions de “biens professionnels” à l’image des actions. Voir encore plus simplement à fermer les yeux sur cette dîme fiscale qui, par la grâce d’une architecture dédiée, échappe toujours aussi facilement aux gouvernements [injustice fiscale] et fait donc défaut aux investissements publics [bien commun; transition climatique & disruption énergétique, etc] au détriment des administrés. Le futur ayant déjà été hypothéqué au présent d’autrefois !!!
https://michelsanti.fr/capitalisme-contre-la-planete/lhomme-nest-pas-too-big-to-fail
Pourtant, l’évidence empirique ne corrobore pas du tout cette vision théorique et dogmatique en cette croissance du Produit Intérieur Brut recherchée avec les dents et qui se gagnerait à coups d’artifices fiscaux, sinon l’accroissement des dettes publiques conjointement au fossé des inégalités à nouveau creusé depuis la Grande Récession de 2008 ne serait pas sur le devant de la scène pour en témoigner. Les officionados de la politique de l’offre ont-ils juste oublié de réfléchir sur un point ou l’ignorent-ils en omettant de considérer que lorsque la demande [de consommation] sur le marché des produits est insuffisante pour absorber toute la production, les entreprises n’ont aucun intérêt à investir leurs bénéfices nets dans l’économie réelle car le placement de ces derniers rapporte plus sur les marchés financiers; de surcroît, fait augmenter mécaniquement les prix des titres cotés [actions] à la bourse en dopant le patrimoine financier [le bien professionnel] que les entreprises possèdent à l’avantage de leurs propres actionnaires [investisseurs privés en quête d’une plus value “spéculative” mais néanmoins quasiment assurée à court-terme]. Un comportement totalement contre-productif en démocratie [du moins pour ce qu’il en reste de ce concept]. L’ignorer revient également à fermer les yeux sur des décennies de politiques improductives – en terme de croissance économique – ayant consisté aux entreprises côtées à racheter frénétiquement leurs propres actions avec l’effet de levier de liquidités obtenues par le truchement des banques centrales, lesquelles ont préalablement rendu le coût du crédit si bon marché [économie spéculative/casino]. Un débouché sur les marchés financiers au détriment de l’économie réelle? En plus clair, les pouvoirs publics, tous confondus, par leurs choix publics irrationnels [ou tout simplement leur complicité?] ont sciemment fait l’impasse [à moins d’être frappé d’incompétence crasse] sur le côté pervers de cette manipulation implicite des cours boursiers [rachats d’actions propres] du secteur privé sans avoir au préalable établi d’exigences rationnelles à de telles manœuvres et, ceci demeure d’autant plus consternant que passablement de ses entités privées furent récipiendaires de fonds publics. Déshabiller Pierre pour habiller Jean ! Nier que l’injustice fiscale qui oppose Capital et Travail sur l’autel de la dîme fiscale – donc délétère au secteur public et aux investissements publics, ainsi qu’au volet de la demande agrégée [biens et services] est un crime aujourd’hui. Car, par ce pillage, pour ceux qui l’ignorent encore, les perdants au sein de l’économie réelle sont [et seront encore] naturellement les personnes de la classe moyenne inférieure et supérieure et les petites et moyennes entreprises: les premières essuieront une baisse de leur capacité d’achat [pouvoir de consommation] et donc les secondes enregistreront une diminution de leurs ventes [biens et services] appauvrissant ainsi le tissu économique que les gouvernements successifs avaient l’illusion – ou la vision dogmatique – de promouvoir essentiellement via le levier fiscal.
“Les dépenses publiques injectent de la monnaie, les impôts la régulent”, en effet, pour autant que l’on fasse abstraction de l’injustice fiscale pathologique. “La dette est une écriture comptable, non un vice”, certes, en théorie [capitalisme fordien] mais dans la réalité [crony-capitalism] elle est devenue un moyen bien commode dont Homo-politicus se servira afin d’assouvir ses ambitions personnelles [i.e Public Choice Theory] au détriment de l’Intérêt général et du bien commun. C’est de cette collusion entre secteur privé et secteur public que le transfert des richesses pourra aisément se réaliser du bas vers le haut [l’antithèse de la “Trickle-Down”], plus précisément à l’angle de la collaboration entre entreprises privées cotées [à l’ère de la financiarisation de l’économie] et les acteurs publics, tels que les gouvernements et les régulateurs. Incidemment, nous ne pouvons donc raisonnablement ignorer la capture réglementaire que les grandes entités réalisent en utilisant leur pouvoir d’influence afin de façonner les lois et les réglementations à leur avantage.
Eh oui, en économie et en finance, tout comme en politique faute de pouvoir compter sur de vrais “Homme d’État”, le mal prend toujours le dessus sur le bien. N’est-ce pas là aussi le principe de “la loi de Gresham”? Une mesure de la dette en contrepartie de si piètres résultats envers l’Intérêt général et le bien commun !
Si le dernier rapport trimestriel de l’Institut de la finance internationale [IIF] montre que l’endettement planétaire a bondi à un niveau inédit au premier semestre 2025, alors que les Gouvernements et les pays émergents multiplient les emprunts faisant craindre un effet boule de neige sur les finances publiques et les marchés, faut-il considérer pour autant qu’une augmentation de 21 000 milliards de $ sur un semestre a rendu le monde d’en bas plus riche, en terme de qualité de vie, sachant que l’argent a pour corollaire la dette? Même si l’affaiblissement du dollar américain a contribué de façon non négligeable à cette augmentation.
Non, plus sérieusement, selon cet Institut, « l’ampleur de cette augmentation est comparable à celle observée au second semestre 2020, lorsque les réponses politiques [choix publics] liées à la pandémie ont entraîné une augmentation sans précédent de la dette mondiale ».
Cependant, au sein de notre monde orwellien, il n’est pas inintéressant de savoir que les dix hommes les plus riches du monde ont aussi vu leur fortune doublé pendant les deux années écoulées de la pandémie mondiale, celle-ci étant alors passée de 700 milliards de $ à 1 500 milliards de $ au rythme de 1.3 milliards de $ par jour. Et si ces seules dix personnes perdaient 99,999% de leur richesse demain, ils resteraient plus riches que 99% des habitants de la planète. Sous l’angle de la sémantique, la notion de méritocratie à bon dos !!! En terme d’investissements productifs? N’en parlons même pas tant cela en devient ridicule! Mais plus rien ne semble choquer aujourd’hui, pas plus que la somme de 1 000 milliards de $ – calculée par l’Observatoire européen de la fiscalité – qui correspondait par exemple aux profits transférés par des grandes entreprises de la planète dans des paradis fiscaux sur la seule année 2022. “Somme annuelle vertigineuse équivalente au produit intérieur brut du Danemark et de la Belgique réunis”. Quant aux 500 plus grandes fortunes françaises, par exemple, à en croire l’économiste français Thomas Piketty, elles auraient “progressé plus vite que la taille de l’économie: + 500% entre 2010 et 2025”.
Bien évidemment que chacun est en droit de rechercher tous les faux prétextes imaginables afin d’alléger le poids des responsabilités de nos hommes et femmes politiques défaillants [au sens de l’Intérêt général et du bien commun] et pour certain, placé avec raison au pilori de la place publique, en venant jusqu’à quémander pour eux l’indulgence. Un phénomène similaire d’ailleurs si bien démocratisé dans les hautes sphères de la finance de marché – avec ses nombreux boss aux égarements déjà qualifiés à l’international – quitte à en arriver à devoir cracher au visage d’un Etat de droit. Pathétique et tout aussi consternant que le fait d’attribuer certains passe-droits à de grands capitaines d’industries comme autant d’indulgences au sein d’une démocratie… représentative. Non, plus rien ne semble guérir du syndrome de Stokholm ! Ceci me rappelle d’ailleurs un des constats de l’économiste américain, Paul Krugman, qui s’étonnait en 2008 [lors de la Grande Récession américaine] de voir à quel point les inégalités de revenus aux États-Unis étaient devenues aussi extrêmes qu’en 1920, mais surtout du comportement plaintif des électeurs ayant pourtant voté en majorité – jusqu’en 2006 – pour des candidats ayant cultivé précisément cette évolution. Affligeant !