Le devoir moral de la France
Le keynésianisme est assimilé à une tare intellectuelle, ses adeptes considérés comme membre d’une secte en quête de confiscation des biens par un Etat nécessairement tentaculaire. Regrettable posture car il fut un temps où la société admettait l’intervention de l’Etat pour réguler les fondamentaux – et souvent les excès – des acteurs économiques. Préférons-nous livrer nos vies et celles des plus vulnérables en pâture à la brutalité froide des marchés financiers qui, au bord du précipice comme lors des multiples crises précédentes, se convertissent au keynésianisme, font appel aux pouvoirs, aux fonds publics pour les sauver, puis les considèrent avec effroi et dédain dès qu’ils n’en ont plus besoin ?
Nos sociétés ont atteint aujourd’hui un tel degré de décadence qu’elles en viennent à déléguer au secteur financier leurs devoirs les plus élémentaires vis-à-vis de citoyens dans la détresse. Voilà par exemple Goldman Sachs qui a investi plusieurs millions de dollars dans les prisons dans l’État de New York, avec les perspectives suivantes : récupérer sa mise si la récidive baisse de 10 %, la doubler si ce taux s’améliore, perdre la moitié de sa mise si la criminalité ne s’améliorait pas à New York !
Et pourtant, la quasi-totalité des économistes, de la presse et des dirigeants européens restent persuadés que le keynésianisme est une sorte de collectivisme.
Vos politiciens vous ont-ils expliqué que la politique monétaire (c’est-à-dire la Banque Centrale) et la politique fiscale/ budgétaire sont toutes deux des facteurs de stabilisation de l’économie ? Le savent-ils seulement… ?
En toute circonstance, l’objectif des néo-keynésiens est de réduire les risques et de préserver la confiance :
sans remettre en question la structure de l’édifice économique et social,
sans redistribuer de manière confiscatoire,
sans réguler plus que de raison.
Mais en faisant usage du levier des taux d’intérêt de la Banque Centrale, en les remontant afin de ralentir l’économie pour lui éviter la surchauffe et vice-versa. La banque centrale autorise en effet, avec sa politique monétaire, de juguler les récessions et d’éviter – précisément – que l’Etat ne s’implique outre mesure.
Le néo keynésianisme est une alternative à un Etat qui se verrait contraint d’exercer sur l’économie une emprise envahissante. Il permet à un Etat endetté de souffler, en attendant que sa Banque Centrale puisse relancer l’économie grâce à sa politique monétaire qui peut faire des miracles. Ceux qui en douteraient n’ont qu’à s’intéresser à l’activisme de la Réserve fédérale US à laquelle l’économie de ce pays doit une part substantielle de son dynamisme.
La France ne devrait pas céder à l’obsession, souvent au chantage, du chiffre.
La France doit apprivoiser ses déficits publics car nos gouvernants ont une obligation morale de relancer – et pour de bon – croissance, pouvoir d’achat, emploi.
Notre système a besoin d’une refondation en profondeur car nous devons collectivement repenser l’action et la dépense publiques, le rôle des impôts, des taxes, la finalité de l’argent. La France dispose de tous les atouts pour convaincre ses partenaires européens de suivre une autre voie.
Le soulagement d’une population meurtrie, la précarité et le rétablissement de l’emploi ne valent-ils pas un déficit ?
Dès les années 1930, Keynes suggérait aux Etats d’enrayer la crise, de mettre de l’huile dans les rouages, en employant les chômeurs à creuser des trous pour y enterrer des billets de banque…Il ne fut pas écouté et la Grande Dépression ne fut vaincue que grâce à la Seconde Guerre Mondiale.
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“…des marchés financiers qui, au bord du précipice comme lors des multiples crises précédentes, se convertissent au keynésianisme, font appel aux pouvoirs, aux fonds publics pour les sauver, puis les considèrent avec effroi et dédain dès qu’ils n’en ont plus besoin ?”
Bravo, très bien dit ! On ne mord pas la main qui nous nourrit.
L’état français devrait se rappeler au bon souvenir des banques qui ont été sauvées lors de la crise de 2008. La sur-bancarisation de la France ne souffrirait pas de la saisie-disparition de l’une d’entre-elles, la Société Générale par exemple, afin de récupérer les sommes investies abondées par le contribuable.
“La France doit apprivoiser ses déficits publics”
Tout citoyen sait que de vivre au-dessus de ses moyens mène au déclassement, à la perte de tout ses biens.
Vous souhaitez que nous repensions collectivement la dépense publique, mais vous oubliez que nombreux sont les français qui vivent de cette gabegie, et pour ceux-là, rien ne doit changer.
Arriver, encore aujourd’hui, à faire accepter à nos partenaires européens notre gestion latine de l’économie nous autorise à attendre une médaille de leur part, voire un prix Nobel.
Je le répète, encore et encore, depuis plus d’une décennie: le budget d’un Etat ne peut être géré comme celui d’un particulier.
Ce qui est vrai pour un humain, est vrai pour un groupe d’humains, pour une nation et pour l’humanité toute entière.
Donc dans ce cas, poursuivons donc ad vitam æternam les déficits annuels à 12 chiffres, continuons d’augmenter la dette à coups cette fois de 13 chiffres par mandature présidentielle, de toute façon, l’argent est “magique”, c’est une fiction que nous pouvons imprimer avec les rotatives, la dette française trouvera toujours acheteur, n’est-ce pas avec l’Arabie Saoudite par exemple:
https://www.lorientlejour.com/article/1419912/quand-riyad-fait-du-chantage-au-g7-pour-eviter-une-saisie-des-avoirs-russes.html
Je n’imagine pas la valeur du papier-monnaie avec de telles idéologies (de la théorie moderne de la monnaie particulièrement).
Quel agissement irresponsable…
Par ailleurs, certains ne partagent pas nécessairement vraisemblablement cette approche d’endettement béat sans limite, dans la mesure où la France s’expose à une amende de 2.7Mds d’euros de la part de l’Union Européenne :
https://www.publicsenat.fr/actualites/economie/deficit-excessif-la-france-risque-une-lourde-amende-de-lunion-europeenne-si-elle-ne-redresse-pas-ses-comptes
Pendant cette décennie(durant laquelle vous “[répétez] encore et encore […] le budget d’un Etat ne peut être géré comme celui d’un particulier”), pourtant les gouvernements français ont pratiqué l’endettement que vous recommandez :
– dette négociable de l’Etat au 31/05/2024: 2.509Mds€
– dette négociable de l’Etat au 31/05/2014: 1.516Mds€
– soit une hausse de 993Mds en 10 ans, près de +100Mds par an…
cf. https://www.aft.gouv.fr/fr/bulletins-mensuels
Bien dit, merci pour les liens.
La grosse commission européenne me fait penser à nos députés qui ont été à deux doigts de destituer le président (10% de l’assemblée, 58 députés ou 35 sénateurs), trop attachés à leur siège, ou au supplice de planche sur les bateaux pirates, il faut qu’un pirate s’engage sur la planche pour pousser le supplicié au bout de la planche.
“La procédure de déficit excessif dans laquelle la Commission européenne a placé, il y a un mois, sept Etats-membres : la France, l’Italie, la Belgique, la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et Malte.”
Imaginez que ces pays disent : ” d’accord, nous n’avons plus les moyens de rester dans l’union, nous la quittons”. Que serait l’union sans ces pays ?
“L’économie française a bien réagi à la crise de l’inflation par rapport à d’autres pays européens, elle conserve de la compétitivité et elle est moins dépendante de l’instabilité géopolitique extérieure que l’Allemagne”.
Ça doit bien mâcher les allemands !
“Néanmoins l’Etat en France est effectivement dans une situation budgétaire fragile car il a peu de marges de manœuvre pour redresser ses comptes : il ne peut pas trop augmenter les impôts, car la fiscalité et la puissance…”.
Ne pas trop augmenter les impôts, de qui ? De celui qui écrit ?
Bonne route vers les vacances (dont celle du pouvoir).
En effet, cher Michel, le budget d’un État ne peut être assimilable à celui d’un ménage.
Cependant, par honnêteté intellectuelle, nous devons aussi admettre que l’idéologie néo-libérale (post 1970/80) n’entrait pas dans l’équation de la Théorie générale de 1936 (The General Theory of Employment, Interest and Money). Mais effectivement, avec un grand OUI, tu as parfaitement raison de parler de “déviance” en ce qui concerne le mal de nos sociétés occidentales et, à cet égard, j’aimerai d’abord souligner (citation bien formulée par un chercheur en macroéconomie et économie monétaire, dr. et prof. reconnu à l’international) que “l’approche néolibérale n’a pas réduit l’intervention de l’État dans le système économique, mais a permis aux pouvoirs forts dans ce système de contrôler les institutions publiques afin d’utiliser le rôle de l’État pour atteindre l’objectif final du néolibéralisme, qui consiste à mettre le plus grand nombre possible de personnes dans une situation de besoin – donc dans une position de faiblesse et de servitude face à ces pouvoirs forts, leur permettant ainsi de faire leurs propres intérêts sans aucun type de contrainte”. Entre-autres exemples, que doit comprendre le quidam dans ce constat des aides publiques accordées au secteur privé (entreprises françaises, notamment financiarisées) en 2019 ? Puis sur les deux décennies, donc avant le choc de la crise sanitaire mondial en 2020 et le choc géopolitique de 2022 ? Évidemment, je ne soustrais pas le choc de la crise de l’euro en 2010 et celui consécutif à la révolution de Maïdan en 2014.
https://fr.statista.com/infographie/29230/evolution-du-montant-des-aides-publiques-accordees-aux-entreprises-francaises/
Ensuite, j’aimerai également revenir sur quelques passages de ma publication sur un autre blog d’expert, à savoir l’autisme pathologique de l’homo-politicus épinglé sur ce même autel idéologique.
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RAYMOND
16 octobre 2022 à 15 h 14 min
“…le choc inflationniste actuel a trois types de causes économiques : conjoncturelles, structurelles et spéculatives qui se sont cumulées en 2022… Mais ces facteurs accentuent une tendance sous-jacente de plus long terme liée au réchauffement climatique, aux relocalisations, au vieillissement des populations et à la spéculation engendrée elle-même par le système de création monétaire lui-même (selon le principe que les crédits font les dépôts).
Balayant d’un revers de main la proposition déjà formulée par le brillant économiste Irving Fisher qui fut le premier – dès les années 1930 – à formuler cette proposition dont le point culminant consistait à imposer aux banques commerciales 100% de réserves en échange des dépôts de leurs clients, et pas au seul “avantage indécent” d’accorder des crédits par le truchement de lignes d’écriture comptable (schéma de Ponzi), car les banques ne seraient plus en mesure de prêter que leurs fonds propres, les cycles d’activité seraient ainsi considérablement lissés et apaisés puisque les bulles spéculatives seraient comme neutralisées en amont. Du coup, les déficits publics en seraient progressivement réduits car, d’une part, les États n’auraient plus à dépenser les deniers du contribuable pour renflouer un système financier aussi inconscient qu’ingrat et, la stabilisation au long cours de l’activité économique – donc la pérennisation des recettes fiscales – contribuant d’autre part à redresser les comptes publics qui seraient mieux identifiés. Se référant aux crises de 1837, de 1873 et à la Grande Dépression des années 30 que Fisher avait vécu en temps réel, qu’il observa que poussé à des niveaux extrêmes, le surendettement provoque à un moment donné la faillite du débiteur, du créancier ou des deux à la fois, induisant une réaction en chaîne qui finit par un phénomène d’une “déflation par la dette” (debt deflation).
Ainsi, à ces causes relevant de l’économie réelle et de la politique économique mainstream, se sont ajoutées les politiques extraordinairement expansionnistes que les banques centrales ont mis en place à partir de 2008 pour éviter de transformer deux grandes récessions (2009 et 2020) en de profondes dépressions. Paradoxalement, pour répondre à la crise financière de 2008 et instruite qu’à moitié (contradictoire) par l’expérience de la crise de 1929 où la relance monétaire fut naturellement accompagnée d’une relance budgétaire massive – et non à cet aspect contradictoire ayant postulé pour l’orthodoxie budgétaire mortifère en Europe, placée sous le joug de l’Allemagne – la BCE a, comme la Fed, lancé des programmes d’achats massifs et durables de titres obligataires publics sur le marché secondaire (QE) – dans un premier temps – avant de ressortir toute une panoplie d’outils pour maintenir les taux longs très bas et permettre aux entreprises et aux ménages d’emprunter pour soutenir l’activité et éviter la déflation (dans la très dogmatique politique de l’offre); c’est-à-dire une baisse des prix généralisée générant l’attentisme des consommateurs qui ont repoussé par opportunisme leurs achats afin de payer moins en gonflant mécaniquement leur épargne disponible ou, pour d’autres, celle de précaution, pesant ensuite sur les revenus et les capacités d’investissement des entreprises et donc in fine sur la croissance.
Cette politique non conventionnelle totalement inédite devait cesser après la crise mais elle fut au contraire accentuée par le premier volet de la pandémie en 2020, amenant le bilan et la masse monétaire des banques centrales à des niveaux inconnus. Et les marchés financiers et immobiliers à gonfler des bulles à des niveaux stratosphériques dont les prix furent hyper-inflatés et totalement décorrellés des fondamentaux. Ce n’est qu’en juillet 2022, soit quatre mois après la Fed, que la BCE a décidé elle-aussi de remonter ces taux de 50 points de base (une première depuis plus d’une décennie) et de stopper ses programmes de quantitative easing, mais sans les éteindre. C’est-à-dire, à la différence de la Fed, en réinvestissant le montant des obligations à maturités. Pour lutter contre la hausse des écarts entre les taux de financement des différents États membres de la zone euro, avec les “spreads”constatés depuis début 2022, la BCE a même annoncé un nouvel outil “anti-fragmentation” qui se traduirait par de nouveaux achats d’obligations des États en difficultés. Certes, réagissant plus tardivement que la Fed, la BCE prise en tenaille a ensuite été contrainte d’augmenter ses taux directeurs, mais le nouveau taux de refinancement accentuera logiquement le risque de récession dans la zone euro qui reste très en deçà de l’inflation et ne suffira donc pas à juguler la hausse des prix. Avec son programme d’achat massif d’obligations souveraines (Pandemic Emergency Purchase Programme ou PEPP) lancé en mars 2020 par la BCE pour éviter l’effondrement des économies s’est traduit par un financement de la quasi-totalité des énormes emprunts publics émis depuis deux ans. Ainsi en juillet 2022, le Système européen des banques centrales (SEBC) détenait en moyenne plus de 35% de la dette publique de l’eurozone…
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Ainsi, comme je te l’ai très souvent signifié par le passé, sans aucune remise de l’État et de ses prérogatives sur les bons rails, les remèdes de Keynes (perverti en l’occurrence) s’avèreront pire que le mal. Aujourd’hui, les contraintes budgétaires en Europe (encore une fois) se réalisent sur le bien commun (santé, éducation, sécurité intérieure et extérieure, couverture sociale…), sans véritables réformes structurelles des hautes institutions européennes. Et aux États-Unis, par un niveau d’endettement public et privé stratosphérique et des bulles en pagaille, comme autant d’appauvrissements en devenir. Sans compter les défiances géopolitiques envers le dollar US et le système des pétrodollars. Enfin, regarde à présent où se situe le fossé des inégalités après que la relance monétaire et la relance budgétaire furent dévoyées. Une dichotomie hallucinante dans cette énième lutte des classes.
Bien à toi