Michel Santi

Le fardeau exorbitant

 

 

«Nous estimons peu probable que des tarifs douaniers soient mis en place. L’arme des tarifs douaniers sera toujours chargée et prête à être utilisée, mais rarement déclenchée. Un autre point de vue différencié que nous avons est que Trump poursuivra une politique de dollar faible plutôt que d’imposer des tarifs douaniers. Les tarifs sont inflationnistes et renforceraient le dollar — ce qui ne serait guère un bon point de départ pour une renaissance industrielle aux États-Unis. L’affaiblissement du dollar en début de second mandat favoriserait la compétitivité de l’industrie manufacturière américaine»,

 

telles étaient les lignes écrites dans sa lettre à ses investisseurs par Scott Bessent, aujourd’hui Secrétaire au Trésor dans l’administration Trump. Le 31 janvier 2024, soit il y a un an précisément.

 

Il avait tort. Trump commence à user de cette arme, et de manière assez violente, car l’imposition de «tarifs» aux partenaires commerciaux les plus importants des Etats-Unis, à savoir le Canada, le Mexique et la Chine, peut conduire à un embrasement global.

Mais Bessent avait aussi raison, car un renforcement (supplémentaire) du dollar peut achever de défigurer l’économie américaine, accélérer sa désindustrialisation, renforcer de manière maximale la haine de la globalisation qui est le signe distinctif de l’électorat populaire de Donald Trump.

En d’autres termes, cette centralité, cette prédominance absolue du dollar, ce «privilège exorbitant», peut aussi se révéler être un fardeau exorbitant.

D’abord, un constat : les déficits sont toujours politiques. Rien ne remet plus en question la souveraineté d’un pays autant que d’être net dépendant de l’étranger pour son commerce ou pour financer son train de vie. Déficits excessifs et endettement incontrôlé réduisent la souveraineté en soumettant l’État à des intérêts extérieurs (marchés, créanciers, institutions internationales), limitant sa capacité d’action, l’exposant à des pressions politiques et économiques qui échappent à son contrôle.

En outre, ayons l’honnêteté d’admettre que la globalisation a induit une perte de souveraineté de bien des nations. Encore mieux: le préalable à la globalisation est la perte de souveraineté au moins partielle des nations qui acceptent d’en jouer le jeu. Et les Etats-Unis sont fort bien placés pour le déplorer car les pays qui affichent avec eux un excédent commercial (donc qui leur vendent plus qu’ils n’achètent des USA) réinvestissent dans un second temps leurs excédents aux Etats-Unis, les rendant du coup encore plus dépendants…Dès lors, la taille et l’ampleur des déficits américains (mais cet exemple s’applique à d’autres pays) deviennent déterminés, non seulement par des décisions nationales, mais aussi par le degré de consommation et d’épargne d’autres pays.

A l’évidence intolérable pour Donald Trump, parfaitement conscient de la dépendance de son pays, qui réagit avec la seule arme dont il dispose, à savoir l’augmentation décrétée du jour au lendemain des droits de douane. En réalité, le Président US ne dispose même pas entièrement de ce levier puisqu’il a même dû invoquer des motifs d’urgence, la lutte contre le Fentanyl et contre l’immigration illégale, qui seuls l’ont autorisé à imposer ces «tarifs», tordant ainsi quelque peu le bras de la Constitution américaine.

Voilà pourquoi il n’est pas difficile de prévoir que Trump reviendra inéluctablement aux fondamentaux. La seule stratégie viable – unanimement cooptée par les marchés financiers – dont son Secrétaire au Trésor est un des émissaires, sera de procéder à dévaluer le dollar. Un État  – a fortiori les USA – peut discrètement influencer le taux de change de sa monnaie, améliorant ainsi la compétitivité de ses exportations à l’international, stimuler sa production nationale, réduire son déficit commercial, améliorer sa balance des paiements, et diminuer en définitive son besoin en financements externes.

Maintes fois mises à profit dans le passé, cette manipulation – qui permettra d’éviter des chocs frontaux avec les partenaires commerciaux – sera attribuée à la volatilité et à l’arbitraire des marchés financiers. N’est-il pas pratique de donner systématiquement tort «aux marchés»?

 

Chers lecteurs,

Ce blog est le vôtre : je le tiens assidument avec régularité et passion. Des milliers d’articles et d’analyses sont à votre disposition, dont les premiers remontent à 1993 !

Mes prises de position macro économiques furent autrefois qualifiées d’hétérodoxes. Elles sont aujourd’hui communément admises et reconnues. Quoiqu’il en soit, elles ont toujours été sincères.

Comme vous l’imaginez, vous qui découvrez ce site ou vous qui me lisez depuis des années, l’énergie déployée et le temps consacré à mes recherches sont substantiels. Ce travail continuera à rester bénévole, accessible à toutes et à tous.

Je mets à votre disposition cette plateforme de paiement, et vous encourage à me soutenir par des dons, ponctuels ou récurrents.

Que celles et ceux qui jugent bon de soutenir ma démarche en soient chaleureusement remerciés.


Quitter la version mobile