Ceci n’est pas une crise…

septembre 23, 2009 0 Par Michel Santi

Les prix du marché immobilier ne cessant de grimper aux Etats-Unis depuis la Grande Dépression pour des raisons notamment démographiques, la crise financière actuelle ne peut être attribuée à la seule implosion d’une bulle immobilière. Pourtant, c’est la spéculation immobilière qui est couramment accusée d’être aux sources de tous nos maux principalement depuis les épisodes dramatiques de Septembre 2008 même si cette période cruciale démontre que la crise immobilière se doublait d’une crise bancaire.

La majorité des établissements financiers étaient certes lourdement investis dans des titres subprimes – bénéficiant de la notation AAA – adossés à des opérations hypothécaires qui virent leur valorisation fondre à mesure que le marché immobilier sous jacent s’effondrait entraà®nant l’insolvabilité de ces Banques…La dégringolade immobilière était certes le détonateur de la crise bancaire. Pour autant, comme ces mêmes Banquiers heureux détenteurs de ces titres n’étaient même pas en mesure de quantifier la masse de subprimes dans leurs propres livres, tout crédit interbancaire fut en conséquence interrompu, aboutissant au gel complet de ce marché fondamental pour l’économie. La négligence et le manque de rigueur bancaires provoquaient donc directement la récession.

La responsabilité de ces Banquiers qui se livraient une compétition aux clients et aux profits était ainsi posée dans toute son acuité, ces professionnels mus par le seul appât du gain à court terme et qui avaient peu scrupuleusement et massivement investi dans des titres à la transparence hautement douteuse…Ce comportement coupable de nos Banquiers pouvait-il être expliqué autrement que par des bonus proportionnels aux profits générés à leurs employeurs? Motivés par le seul attrait d’une gratification pécuniaire, ces Banquiers avaient opté d’investir dans des titres – dont ils ne pouvaient ignorer la dangerosité intrinsèque – mais qui avaient toutefois le mérite de produire sur le court terme des bénéfices qui se refléteraient nécessairement dans leur bonus de fin d’année.

L’occasion était trop belle de trouver un seul et unique bouc émissaire à sacrifier à l’autel de la démagogie car cette théorie du bonus comme instrument de corruption du Banquier pervers aux doigts crochus fut savamment exploitée par des responsables politiques soucieux de détourner l’attention de leurs propres turpitudes.

Pourtant, si l’intérêt personnel était leur seule préoccupation, pourquoi ces Banquiers avaient-ils quasi exclusivement opté pour des titres subprimes AAA mais qui produisaient une rentabilité inférieure à d’autres valeurs moins bien notées AA ou BBB mais qui offraient, elles, un rendement plus élevé? Par ailleurs, ces mêmes Banquiers soucieux du seul résultat à court terme n’étaient-ils pas eux-même le plus souvent rémunérés dans des stock options – dont les valorisations ont du reste fondu – dont le rôle fondamental est d’impliquer le salarié sur le long terme et dans l’intérêt de l’employeur et dans celui des marchés financiers o๠sont cotées les actions de leurs propres Banques?

Marché immobilier euphorique, dérèglement du marché du crédit, perversion des bonus, capitalisme débridé et arrogant sont certes des motifs intelligibles et crédibles de la crise mais ces motifs sont également opportuns car ils exonèrent nos autorités politiques et économiques de leurs responsabilités patentes dans le déclenchement de cette crise.

Pourquoi ces Banquiers intéressés par placer dans des titres sécuritaires notés AAA n’avaient-ils pas plutôt choisi les Bons du Trésor ? Pourquoi n’avaient-ils privilégié les papiers valeurs moins bien notés si la rentabilité était leur seule obsession ? Et comment expliquer cet attrait pour des titres adossés à des hypothèques ?

Les ratios capitalistiques des Banques définis par le règlement dits de Bâle I ont été amendés en 2001 par la Réserve Fédérale US dans le sens d’un assouplissement puisque le “Recourse Rule” autorisait les Banques à ne détenir que 20% de réserves en capital pour des titres AA- ou AAA adossés à des actifs immobiliers. En comparaison, cette même pondération s’élevait à 50% dans le cas de titres non garantis par des actifs immobiliers tandis que la pondération était nulle pour du cash…

Ainsi, la solvabilité du débiteur ultime n’étant pas une considération, les établissements bancaires commerciaux vendaient en toute légalité leurs hypothèques en cours à des banques d’investissement qui les titrisaient avant de les revendre aux mêmes établissements commerciaux initiaux dorénavant soulagés du point de vue de leurs ratios capitalistiques…Et pour cause puisque, le capital d’une Banque n’étant par définition pas disponible pour générer des profits, ces établissements bénéficiaient subitement d’un excédent en capital à investir sur les marchés, dans d’autres titrisations ou sur encore plus de prêts immobiliers!

La mise en place de ce Recourse Rule eut donc pour conséquence directe d’augmenter considérablement l’intérêt des Banques pour ces titrisations immobilières qui, tout en accentuant leur vulnérabilité, gonflait néanmoins artificiellement leurs résultats dans un contexte o๠la réglementation était scrupuleusement respectée. Cependant, l’effet dévastateur du Recourse allait bien au-delà de cet assouplissement en terme de ratios capitalistiques.

Le propre d’un marché relativement déréglementé est effectivement de faire coexister différents points de vue et stratégies – reflétant diverses perceptions du risque – et de permettre en définitive l’émergence d’un gagnant et d’un perdant, l’équilibre étant ainsi respecté. Néanmoins, cette règle essentielle du capitalisme était faussée par ce Recourse Rule qui, du coup, induisait un comportement homogène à toute la sphère bancaire consistant en une ruée sur un actif unique, à savoir les titres adossés à des actifs immobiliers! Les titres subprimes, qui élevaient ainsi les profits bancaires à un seuil inédit jusqu’à présent et définissaient en même temps un nouveau “benchmark” auquel toutes les Banques devaient se conformer faute de perdre en compétitivité, étaient ainsi plébiscités par l’ensemble de la profession : la nature même du marché était altérée car il n’y avait plus que des gagnants … qui se sont tous transformés en perdants avec la crise!

C’était ainsi le régulateur qui contribuait activement à fragiliser le système bancaire et à mettre en place les pions du risque systémique. La crise actuelle n’est donc pas une crise immobilière pas plus qu’elle n’est une crise du système financier ou un symptôme de la décadence du capitalisme : C’est d’abord une crise de la réglementation.

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